Dans cet article rédigé avec Perrine DODE, psychologue du travail, ergonome et IPRP du cabinet ERGO OMNES, nous abordons les prérogatives de l’expert-comptable du CSE. Nous estimons que le contexte actuel renforce le rôle des représentants du personnel sur les sujets en lien avec l’organisation du travail et les conditions de travail. Selon nous, les collaborations croisées entre experts économiques et experts de la santé au travail sont essentielles et doivent se développer dans les expertises.

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L’expert du Comité d’Entreprise a historiquement construit ses interventions annuelles autour de l’analyse des données économiques et comptables des entreprises. Leurs mandants (les représentants du personnel) parlaient alors des « analyses des comptes » et l’expert abordait principalement les thématiques en lien avec la stratégie de l’entreprise, l’évolution de l’activité et des résultats, la santé financière ou encore la répartition de la richesse entre actionnaires, investissements et salariés. En outre, le législateur prévoyait qu’un Comité d’Entreprise pouvait recourir aux services d’un expert-comptable une deuxième fois dans l’année si l’entreprise respectait des seuils en matière de taille. Cette deuxième intervention (généralement au second semestre) couvrait l’analyse des comptes prévisionnels. Les comptes une fois de plus !

La Loi Rebsamen de 2015 a regroupé les consultations du Comité d’Entreprise en trois grands temps. L’une d’elles est dédiée à « la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail ». Si les deux premières thématiques étaient abordées dans les expertises (principalement l’évolution de l’emploi et des rémunérations à partir de l’analyse du bilan social), le sujet des conditions de travail était plutôt la prérogative du CHSCT et l’expert-comptable ne se sentait pas toujours légitime pour aborder ces questions dans sa mission annuelle.

À notre sens et pour répondre aux attentes de ses mandants, l’expert-comptable doit intégrer autant que possible dans son approche la dimension des conditions de travail et plus largement l’organisation du travail. Plusieurs raisons concourent à ce constat :

  • D’une part, la prévention de la santé et de la sécurité au travail n’est pas suffisamment structurée, coordonnée et anticipée par les différents acteurs.
  • D’autre part, les organisations évoluent sans cesse, impactant constamment les conditions de travail des salariés. Ces évolutions ne font que très rarement l’objet d’études d’impacts sur le travail réel. Ceci concourt notamment au renforcement de dysfonctionnements organisationnels existants et à l’apparition d’atteintes de diverses natures :
    • Atteintes au rapport au travail (phénomène de désengagement, de frustration, de perte de sens, sentiment d’inutilité, etc.)
    • Atteintes aux relations sociales (tensions, conflits, recherche systématique de responsabilité par service/personne, jugements interprofessionnels, etc.)
    • Atteintes à la santé (stress, fatigue chronique, accident du travail, maladies professionnelles, burn-out, suicide, etc.)
  • Les interlocuteurs de l’expert sont aujourd’hui les élus de la nouvelle instance fusionnée Comité Social et Economique, en première ligne sur les sujets en lien avec la santé au travail (auparavant ces prérogatives reposaient principalement sur les épaules des élus du CHSCT). Ajoutons que les quatre réunions annuelles de CSE dédiées aux sujets SSCT ne seront pas une réponse suffisante aux enjeux sociaux des entreprises.
  • Enfin, les possibilités d’expertise sur les conditions de travail sont moins évidentes avec un cofinancement plus large de celles-ci depuis les Ordonnances Macron (via le budget de fonctionnement).

Par ailleurs, la situation sanitaire actuelle liée au Covid19 est inédite et renforce nos certitudes. Elle déstabilise chaque acteur de l’entreprise (direction, élus et salariés) de par son ampleur et l’incertitude qu’elle occasionne.  Les repères habituels et la dynamique de chaque structure se sont transformés instantanément laissant place à une multitude de questions, de doutes et de craintes. Cela suscite pour chacun d’entre nous des réflexions individuelles et collectives de diverses natures.

Si les questions économiques sont habituellement au cœur de nos fonctionnements et disposent d’un privilège sociétal les rendant prioritaires, il apparait aujourd’hui une bascule en ce qui concerne la santé, la sécurité, les conditions de travail, mais aussi l’organisation du travail. La préservation de l’HUMAIN doit désormais être l’enjeu premier. Il nous est impossible de poursuivre une production de qualité de quelque nature que ce soit sans l’activité de l’HUMAIN en bonne santé physique et psychologique. Nous en prenons aujourd’hui la pleine conscience.

De fait, et cela n’est qu’un des nombreux outils pour atteindre cet objectif, l’expertise sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail doit permettre de sanctuariser un temps d’échange essentiel sur les conditions de travail. Les experts-comptables doivent donc plus que jamais intégrer dans leurs missions des spécialistes de la santé au travail (ergonomes, psychologues du travail, psychologue clinicien, etc.) afin de répondre à ces enjeux prégnants de santé au travail. C’est dans cet esprit que le cabinet IRPEX, en étroite collaboration avec ses partenaires, a construit des méthodes innovantes pour aider les représentants du personnel à se saisir de cette thématique et élargir leur champ d’action.